Au mois de décembre 2023 s’ouvrait le centenaire de René Girard. Ses cendres étaient inhumées dans la tombe familiale du cimetière d’Avignon tandis qu’une œuvre musicale, commandée pour l’occasion, était créée au Grand Tinel du Palais des Papes par l’Orchestre national Avignon-Provence et le Quatuor Girard.
Un an plus tard, il apparaît que cette dimension liturgique et familiale rendait bien justice à une pensée qui, par-delà les tentatives de l’ethnocentrisme occidental pour se survivre à lui-même, aura su restituer l’unité radicale de toutes les cultures humaines et conserve pour cette raison une actualité brûlante.
Enracinée au sens de Simone Weil, la pensée de René Girard n’a donc rien de réactionnaire. A l’école des tragiques grecs, elle s’immerge dans les contradictions de son temps et, partout où des positions se figent de part et d’autre d’une ligne de front, elle repère des articulations inattendues, ouvre des chemins nouveaux. Et c’est à l’art plus qu’aux idéologies qu’il revient de perpétuer cette vibration qui nous relie chacun à l’événement originel.
L’art et la culture ont bien plus à offrir à nos existences qu’une compensation divertissante à la morosité quotidienne. Située au croisement de l’immanence et de la transcendance, de la nature et de la grâce, mystérieusement surgie des processus par lesquels la violence a été maîtrisée, la culture renvoie à cette chose cachée depuis la fondation du monde et fait un avec ce que l’humain a de plus spécifique : la conscience et le langage d’où naît la possibilité d’un face-à-face. La culture trace donc la route par où l’homme se sauve en même temps qu’il s’hominise. Telle est la « conversion de l’art » : au bout du sacrifice qui contient la violence, se laisse apercevoir la Croix qui achève le sacrifice.
Pour le Quatuor Girard, la revue Antigone et la Société des Amis de Joseph & René Girard, c’est donc une grande joie de refermer le centenaire de René Girard à Metz de la même façon qu’ils l’avaient ouvert à Avignon. Puisse ce dialogue entre la « mythique » « Jeune fille et la Mort » de Franz Schubert et Des Lyres de Sang, poème composé par Guilhem Girard, produire au cœur de cet Avent 2024 une ébullition de réflexions et d’émotions qui vérifie par l’expérience le réalisme anthropologique à partir duquel René Girard a opéré sa « conversion romanesque ».
Benoît Girard, directeur éditorial de la revue Antigone
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